Entre le 15 avril et le 28 mai 2014, la Médiathèque départementale des Landes m'invite en résidence et me confie les rênes d'un atelier d'écriture pour les adolescents de St Vincent de Tyrosse.

A l'hiver 2021, on renouvelle l'expérience, cette fois avec une bande de Parentis et des écrans d'ordinateurs interposés

Le but est toujours le même: leur faire écrire un feuilleton policier. Avec un petit défis en plus: ce coup-ci, ce sera chacun chez soi...

Des ado entre 14 et 17 ans, cinq épisodes publiés sur cinq semaines, à lire ici en ligne ou à télécharger sur vos tablettes, ainsi que le journal de bord des ateliers.

L'imagination d'une bonne petite bande d'écrivains aux commandes...


Sébastien Gendron

Journal de bord # 3ème jour: mercredi 29 avril 2014


DE NOUVELLES MAINS...

Après une bonne semaine de vacances, nous reprenons le cours de nos aventures. Cet après midi, à la bibliothèque de St Vincent, ils débarquent à cinq. Manquent à l’appel : Xavier et Paul. Paul a cédé à la tentation d’une journée de skate. Xavier, je ne sais pas. Joshua est là mais il a tennis et doit quitter le bateau à 16:45. Eillisa est présente, très en forme. Trois nouveaux se sont greffés à l’atelier : Léa – 12 ans et demi, me précise-t-elle fièrement – Mattéo, qui doit lui aussi quitté la place avant 17:00, et Nicolas.



Dehors, une petite bruine crachote par intermittence. Je préviens Paul, l’animateur du jour, que je ferais un break d’un quart d’heure toutes les quarante cinq minutes. Avant d'attaquer, on fait la désormais habituelle photo de groupe. Cette fois-ci, Joshua accepte de ne pas me tourner le dos mais il fait la grimace. Résultat, il se retrouve dans la jointure de deux images rassemblées par le panoramique et le voici grimaçant et... déformé.



Je sors le paperboard et je résume l’histoire telle que nous en avons décidé au cours de la première séance. Personnages, lieux de l’action, meurtre, requins et… le fameux cliffhanger. Léa a du mal avec ce concept. Eillisa le lui explique et pour exemplifier, je décide de leur lire le premier épisode de mon propre feuilleton que je mettrais en ligne après le leur. Alors que je commence la lecture, je me rends compte que mon histoire n’est pas du tout de leur âge : un homme qui suit une femme jusqu’à son hôtel ; du dehors, il l’observe et à la fin, il pénètre dans la chambre pour la tuer. Hmmm… Donc, je résume rapidement les évènements et j’en arrive à mon cliffhanger. Visiblement, Léa pige.



Avant de se lancer, je propose, comme pour le premier atelier, de nous détendre les poignets en faisant un petit cadavre exquis. « Un cadavre quoi ? » me lance Léa. Joshua piaffe à coté de moi. Je lui laisse donc expliquer les règles de ce jeu littéraire avant de saisir une page vierge. Deux tours de table plus tard, je me retrouve avec une scène de ménage entre un rugbyman et sa femme. La bataille du couple se rééquilibre au fur et à mesure de la rédaction mais je suis obligé d’intervenir en fin de parcours pour expliquer aux aods qu’écrire une histoire, c’est d’abord et avant tout faire attention à l’expression si on ne veut pas faire fuir le lecteur.

Après retouches donc, ça nous donne ça :




Un rugbyman grand, fort, puissant, avait une femme.
Sa femme dit : « Non, tu ne vas pas avec tes copains,
tu restes ici, tu dois faire le ménage.
tu as mis plein de miettes sur la table, porc !
Quand je dis non, c’est non. Donc tu restes là pour m’aider ! »
Le rugbyman fronça les sourcils, pleura mais sa femme lui mit l’aspirateur entre les mains.
Mais il ne se laissa pas faire, il saisit un ballon et le shoota dans la figure de sa femme.

Elle pleura, puis pris l’aspirateur et le lança dans la tête de son mari.
Le mari, vénére, lui balança la carafe d’eau à la face.
La femme lui jeta les couverts et lui dit : « Je m’en vais chez une amie ! »
Le rugbyman tomba alors à genoux et lui dit : « Excuse-moi, je t’aime » ce à quoi sa femme répondit : « Prouve-le moi en passant l’aspirateur sans faire de commentaire. »



Bien. Je ne sais pas si notre « Crime à Miami » n’est pas en train d’infuser dans leurs esprits. On va vite le savoir. Après une pause et une éclaircie météorologique, on se met au boulot. Pour Léa, Mattéo et Nicolas, c’est d’abord un peu compliqué de rester dans le cadre déjà décidé précédemment. Mais ils finissent par s’y faire et découvrent qu’il y a pas mal de choses à en tirer. Nous avions laissé Mike et Eva découvrant, après le passage d’un ouragan, le corps de leur ami John dans leur piscine. Le problème, c’est que Mike a pourtant pris soin d’aller balancer son cadavre dans l’océan, à proximité des requins…

A partir de là, ça commence à fuser et il me faut contenir l’affaire jusqu’à épuisement. Cet épisode doit mettre en scène les interrogatoires de Mike et d’Eva, et surtout, dévoiler qui est réellement Mike. Donc peu d’action, beaucoup de bla-bla. De temps à autre, Mattéo, le plus discret de la bande, tente quelques propositions au milieu de brouhaha, et fait souvent mouche. Léa, elle, fait montre d’un esprit critique plutôt affuté, nous reprenant sur des constructions de phrases qui ne lui plaisent pas. Quant à Nicolas, il nous regarde d’abord avec de grands yeux avant de se prendre au jeu. Rapidement, les feuilles mises à leur disposition pour s’exprimer se remplissent de dessins. Si ça continue comme ça, je me dis qu’on va finir avec une BD.
 

Voilà, on met le point final à ce chapitre et je relis. A la fin, Léa tique. « Pourquoi on continue pas ? » me lance-t-elle, déçue. Je lui explique alors que ça y est, on a écrit la fin du chapitre, avec son cliffhanger qui va donner envie au lecteur de lire le prochain épisode et qu’on doit s’en tenir là. Mais apparemment, ça ne passe pas bien. Amusant, non ? Même en tant qu’auteur de l’histoire, elle est déjà impatiente de connaître la suite…



A 17:30, je clos la séance avec un nouvel épisode au compteur.

Journal de bord # 2ème jour: mercredi 16 avril 2014



GO !



Premier jour de rédaction, premier épisode. Eilliza, Xavier, Paul et Joshua arrivent à l’heure, avec Audrey, leur animatrice. Le temps est encore plus beau qu’hier et je me dis qu’il va falloir aménager des moments de pause plus longs et plus réguliers : le skate parc voisin sent la concurrence déloyale. Mais la bande semble animée de la même verve qu’hier. On enclenche les hostilités sans tarder.



Je décide de prendre les commandes du clavier et de jouer les dactylos pour faire avancer l’écriture. Nous avons 4 heures pour sortir le premier opus de notre histoire, autant leur économiser le dur labeur de la rédaction. Il va juste falloir leur faire sortir des phrases. Je replante le décor décidé la veille : une villa sur le bord de mer de Miami – où à Miami ? nous n’avons pas décidé, mais la ville du vice est un lieux imaginaire et personne n’ira vérifier – deux copains d’enfance qui vont solder un lourd contentieux et une suite de péripéties amenant à une conclusion en cliffhanger donc.




C’est parti.

Un salon de nuit, deux hommes, une arme à feu. La première scène est pondue en deux temps trois mouvements. Une balle, du sang. Le petit quatuor me sort quelques phrases pas piquées des hannetons – il faudra que je m’intéresse de près à l’origine de cette expression. Eilliza, notamment, conclu ce brillant début par un magnifique « Les larmes montèrent aux yeux de Mike, pleins de haine et de honte. »



Pause. Ils s’envolent vers l’extérieur, Paul fait des trucs casse-gueules avec son skate, ça hurle, ça court, ça se défoule. De mon coté, je sors une chaise à l’extérieur et je poursuis la construction du blog sur lequel les épisodes et ce journal de bord seront consignés tout au long de la résidence.



Retour autour de la table. J’ai besoin de prendre des photos pour agrémenter le site. Joshua se déclare depuis hier « phobique des photos ». Je tente un panoramique dans lequel il me tourne obstinément le dos. One shot, je n’ai aucune raison d’insister. Juste choper l’instant présent tel qu’il est. Trois demi-sourires – dont celui d’Eilliza complétement déformé par le mouvement de l’appareil photo – un dos, à gauche cadre Sandrine, la bibliothécaire, à droite cadre, Audrey, l’animatrice très participative aujourd’hui. Ok !





Les trois heures suivantes voient se construire l’histoire avec un amollissement général très palpable vers la fin. Je fais mon possible pour que tout ça reste ludique, même la fatigue. Et ça marche. A 17 :00, nous avons notre premier épisode tel qu’il a été pensé la veille. On le relit, on discute des deux ou trois phrases un peu de guingois – Joshua refuse catégoriquement l’expression « au pire » et lui préfère « sinon », je ne discute pas – et c’est réglé.



Dernière missions avant le fin : trouver un titre à l’histoire. Personnellement, je pense à « Ouragan » depuis hier. Mais je me suis promis d’intervenir le moins possible dans leur choix. Eilliza voit un truc très romantique du genre « Une histoire de cœur » sous prétexte qu’il y a une affaire d’amour derrière l’intrigue. Les garçons font bloc pour réfuter l’idée mais n’ont pas mieux à proposer. Je place quand même « Ouragan» histoire qu’il puisse y avoir un outsider. Paul pige : l’ouragan, c’est ce qui va faire dérailler le plan du héros. Eilliza revient à la charge avec « Un cœur en sang ». Classe, s’exclame Paul. Mais Joshua nous grille la priorité : «  Crime à Miami ». Succès immédiat.



Eilliza, Xavier, Paul et Joshua repartent en laissant en plan les pages sur lesquelles ils ont griffonnés des dessins, des mots, des bouts de phrases, bref, de la matière. Seule interrogation : seront-ils là dans quinze jours ou y aura-t-il un tout autre groupe qui reprendra les rênes de cette histoire ? Joshua m’a déjà averti qu’à la rentrée, le mercredi, il aurait tennis à 16 :00. J’ai négocié avec lui qu’il soit présent au moins en début de séance. Ou comment faire en sorte que le sport cesse d’être un concurrent déloyal à la culture.




Journal de bord # 1er jour: mardi 15 avril 2014


PRISE DE CONTACT

Ils sont quatre à débouler dans le calme de la petite bibliothèque Gabriel Fauthoux de St Vincent de Tyrosse. Il fait doux, le soleil tape sur les vélux et je me dis que ces adolescents préféreraient peut-être, à cette heure, faire du skate que de plancher pendant quatre heures sur le projet que je m'apprête à leur proposer: écrire un feuilleton policier à plusieurs mains, en cinq épisodes pendant cinq semaines.

Erreur de jugement. Après un rapide tour de table, il apparait qu'Eilliza, Xavier, Paul et Joshua se voient à peu près tous comme des écrivains en herbe. Je veux voir ça de plus près et je leur demande de me rédiger, sur un temps donné, un petit texte. Aucun thème imposé, juste ce qui leur passe par la tête. Vingt minutes plus tard, Paul et Joshua me lisent chacun une micro histoire qui commence par "Il était une fois" quand Eilliza et Xavier narrent un souvenir de vacances. Aurait-on là deux groupes distincts?
Pour le savoir, je lance un second jeu. Puisque le but de cet atelier est d'écrire la même histoire à plusieurs mains, tentons un cadavre exquis ouvert - le premier participant écrit une première phrase et la passe à son voisin qui écrit la suite, qui la passe à son voisin, etc. Je décide d'entrer dans la boucle juste pour compliquer un peu le texte. Et, au bout de trois tours, on arrive à ce texte surréaliste - les retours à la ligne désignent les changements successifs d'auteurs :



"Hier, Pierre est parti acheter des cacahuètes et il a rencontré Jules.
Il partagea les cacahuètes avec Jules.
Mais Jules n'était pas d'accord donc, il lui vola les cacahuètes
et Pierre le poursuivit jusqu'à chez lui.
Mais, en arrivant, il trouva la porte fermée et décida d'entrer par la fenêtre.
A l'intérieur, il trouva plein de cacahuètes tombées sur le sol.
Ca signifiait que Jules aimait les cacahuètes.
Normal, puisqu'au début, il devait les partager avec Jules, et soudain
Il aperçut Pierre qui rentrait chez lui et
Se rendit compte qu'il était accompagné d'un étrange lapin bleu qui tenait entre ses pattes avant un révolver.
Le lapin lui braqua le révolver dessus. Il sentait sa dernière heure arriver.
Soudain, un homme plaqua Pierre pour le protéger
Et la planète explosa, plus aucune vie
Selon les ressources extraterrestres.
Mais quelque part dans une lointaine galaxie, il y avait une planète toute petite nommée Bunny Star. C'est sur cette planète qu'en fin de journée, le vaisseau du lapin bleu atterrit, de retour de sa mission, avec plein de cacahuètes dans son coffre."


Éclat de rire généralisé, pause skate board de dix minutes et retour à la table de travail.
Maintenant, il s’agit de décider d'une histoire à raconter et de mettre en place le plan de nos cinq épisodes. On est là pour écrire du polar et le petit groupe est solidement avisé des codes du genre. Les idées se mettent à fuser sans même que j'allume la mèche. Désolé pour les Landes, mais il est immédiatement décidé que l'intrigue se déroulera à Miami (après avoir successivement éliminé Chicago, Los Angeles, Brooklyn et Londres - au grand désespoir d’Eilliza). L’intrigue tient en très peu de mots: un homme tue son meilleur ami pour des histoires de cœur et tente de faire disparaitre son cadavre – vous comprendrez qu'à cette heure, je ne peux pas en dire davantage sans risquer de dévoiler les rebondissements de l’histoire. On enchaine sur le plan des trois premiers épisodes et je leur demande de trouver pour chacun d’entre eux une fin qui donnera envie au lecteur de lire la suite – ce qu’en terme de narration, on appelle le cliffhanger, soit littéralement « l’homme accroché à la falaise », c’est-à-dire ce personnage qu’on laisse en position dangereuse avant de clore le chapitre. Ils pigent très vite l’intérêt de cette technique et la fin de la séance est occupée par la recherche de toutes sortes de misères à faire subir aux protagonistes de notre histoire.
Je les chasse à 17:30 en leur demandant de laisser tout ça infuser jusqu’à demain.
Parce que demain, on se jette dans le bain et on rédige le premier épisode…