PRISE DE CONTACT
Ils sont quatre à
débouler dans le calme de la petite bibliothèque Gabriel Fauthoux de St Vincent
de Tyrosse. Il fait doux, le soleil tape sur les vélux et je me dis que ces
adolescents préféreraient peut-être, à cette heure, faire du skate que de
plancher pendant quatre heures sur le projet que je m'apprête à leur proposer:
écrire un feuilleton policier à plusieurs mains, en cinq épisodes pendant cinq
semaines.
Erreur de jugement.
Après un rapide tour de table, il apparait qu'Eilliza, Xavier, Paul et Joshua se
voient à peu près tous comme des écrivains en herbe. Je veux voir ça de plus
près et je leur demande de me rédiger, sur un temps donné, un petit texte. Aucun
thème imposé, juste ce qui leur passe par la tête. Vingt minutes plus tard,
Paul et Joshua me lisent chacun une micro histoire qui commence par "Il
était une fois" quand Eilliza et Xavier narrent un souvenir de vacances.
Aurait-on là deux groupes distincts?
Pour le savoir, je
lance un second jeu. Puisque le but de cet atelier est d'écrire la même
histoire à plusieurs mains, tentons un cadavre exquis ouvert - le premier
participant écrit une première phrase et la passe à son voisin qui écrit la
suite, qui la passe à son voisin, etc. Je décide d'entrer dans la boucle juste
pour compliquer un peu le texte. Et, au bout de trois tours, on arrive à ce
texte surréaliste - les retours à la ligne désignent les changements successifs
d'auteurs :
Il partagea les
cacahuètes avec Jules.
Mais Jules n'était
pas d'accord donc, il lui vola les cacahuètes
et Pierre le
poursuivit jusqu'à chez lui.
Mais, en arrivant,
il trouva la porte fermée et décida d'entrer par la fenêtre.
A l'intérieur, il
trouva plein de cacahuètes tombées sur le sol.
Ca signifiait que
Jules aimait les cacahuètes.
Normal, puisqu'au
début, il devait les partager avec Jules, et soudain
Il aperçut Pierre
qui rentrait chez lui et
Se rendit compte
qu'il était accompagné d'un étrange lapin bleu qui tenait entre ses pattes
avant un révolver.
Le lapin lui braqua
le révolver dessus. Il sentait sa dernière heure arriver.
Soudain, un homme
plaqua Pierre pour le protéger
Et la planète
explosa, plus aucune vie
Selon les ressources
extraterrestres.
Mais quelque part
dans une lointaine galaxie, il y avait une planète toute petite nommée Bunny
Star. C'est sur cette planète qu'en fin de journée, le vaisseau du lapin bleu
atterrit, de retour de sa mission, avec plein de cacahuètes dans son
coffre."
Éclat de rire
généralisé, pause skate board de dix minutes et retour à la table de travail.
Maintenant, il s’agit
de décider d'une histoire à raconter et de mettre en place le plan de nos cinq
épisodes. On est là pour écrire du polar et le petit groupe est solidement
avisé des codes du genre. Les idées se mettent à fuser sans même que j'allume
la mèche. Désolé pour les Landes, mais il est immédiatement décidé que
l'intrigue se déroulera à Miami (après avoir successivement éliminé Chicago,
Los Angeles, Brooklyn et Londres - au grand désespoir d’Eilliza). L’intrigue
tient en très peu de mots: un homme tue son meilleur ami pour des histoires de
cœur et tente de faire disparaitre son cadavre – vous comprendrez qu'à cette
heure, je ne peux pas en dire davantage sans risquer de dévoiler les
rebondissements de l’histoire. On enchaine sur le plan des trois premiers
épisodes et je leur demande de trouver pour chacun d’entre eux une fin qui
donnera envie au lecteur de lire la suite – ce qu’en terme de narration, on
appelle le cliffhanger, soit littéralement « l’homme accroché à la falaise »,
c’est-à-dire ce personnage qu’on laisse en position dangereuse avant de clore
le chapitre. Ils pigent très vite l’intérêt de cette technique et la fin de la
séance est occupée par la recherche de toutes sortes de misères à faire subir
aux protagonistes de notre histoire.
Je les chasse à 17:30
en leur demandant de laisser tout ça infuser jusqu’à demain.
Parce que demain, on se jette dans le bain et on rédige le premier épisode…
Parce que demain, on se jette dans le bain et on rédige le premier épisode…
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