Entre le 15 avril et le 28 mai 2014, la Médiathèque départementale des Landes m'invite en résidence et me confie les rênes d'un atelier d'écriture pour les adolescents de St Vincent de Tyrosse.

A l'hiver 2021, on renouvelle l'expérience, cette fois avec une bande de Parentis et des écrans d'ordinateurs interposés

Le but est toujours le même: leur faire écrire un feuilleton policier. Avec un petit défis en plus: ce coup-ci, ce sera chacun chez soi...

Des ado entre 14 et 17 ans, cinq épisodes publiés sur cinq semaines, à lire ici en ligne ou à télécharger sur vos tablettes, ainsi que le journal de bord des ateliers.

L'imagination d'une bonne petite bande d'écrivains aux commandes...


Sébastien Gendron

Journal de bord #7 - mercredi 28 mai 2014


GOODBYE, KIDS !





Il en va des bonnes choses comme du reste. Elles ont une fin et c’est sûrement ça qui leurs donnent toutes leurs valeurs. Certains acceptent d’aller jusqu’au bout de l’expérience pour savoir comment tout va finir. D’autres préfèrent s’abstenir, renoncer, pour garder une gout d’inachevé, une manière comme une autre de prolonger l’événement. 
Si j’applique cette pensée toute personnelle à mon groupe d’auteurs en herbes, ça nous donne trois présents pour cette dernière séance. Eiliza immanquablement, Francisco et Matteo. Joshua est excusé pour cause de pont. Les autres se sont donc abstenus et je ne leur en veux pas.
La première chose qui m’est réclamée dès leur arrivée, c’est un cadavre exquis.
Alors on y va, et au bout de quatre tours de table, ça nous donne ce truc qui ressemble à dialogue de sourds version Beckett :



Les poulets font « cot-cot » !
Les vaches font « meuh-meuh »
Ca fait du bruit
Et chacun essaye de se faire comprendre, sauf que
J’aime le poulet !
Et le poulet se trouve dans la ferme d’oncle Mc Donald.
Pourquoi on parle pas de la vache ?
Parce que la vache est complètement folle
La vache fait du yaourt !
Elle fait le lait mais c’est pas elle qui fait le yaourt !
Mais si, avec le lait ! Bref, et le cheval il fait de la viande !
Non, la viande, c’est le boucher qui s’en occupe
Le cheval Spanghero ! Beurk !
Et le canard il fait « quoi » !
Oh ! Un éléphant rose qui vole à coté de la lune et qui miaule !
Vous dites vraiment n’importe quoi : ce texte n’a ni queue (de poisson), ni tête (de cochon) !



Bref, un bon défouloir juste avant de passer à notre épilogue dans lequel toute la vérité sur l’affaire Mike Anderson doit éclater. 


Au moment où on commence la rédaction, Christophe Van Veen, le journaliste de France Bleue Gascogne qui a couvert la toute première séance, débarque avec son micro. Il m’a appelé la veille pour savoir s’il pouvait venir conclure son sujet initial. Il promène donc son enregistreur autour de nous alors qu’on pose les bases du dernier chapitre. Puis, à la pause, il interviewe les trois rescapés de l’aventure pour recueillir leurs impressions. Je suis prié de quitter la pièce avant d’y revenir pour être, à mon tour, soumis à ses questions.



Le reste de la séance passe à la vitesse de l’éclair. L’épisode est un peu triste, un peu sombre, c’est normal, on l’avait décidé la semaine dernière. Et à nouveau se pose le problème suivant : que faire de Mike ? Est-ce qu’il se venge ? Est-ce qu’il survit ? Et que devient-il ?


On construit, on élabore et Eiliza dessine, illustre, nous représente en train de bosser ou bien storyboarde notre histoire.


Une fois qu’on a relu la copie, Mattéo pose la question qui aura sous tendue nos 7 ateliers : est-ce que cette histoire sortira un jour en livre ? Leur insistance sur ce thème de la valeur des écrits imprimés sur papier m’a surpris dès le premier jour. Nous pensions que mettre en place un atelier d’écriture numérique avec des adolescents était en parfaite adéquation avec les nouvelles technologies dominantes chez les jeunes. Mais c’était sans compter sur l’idée qu’ils se font du livre. Un livre, ce sont des pages, c’est un volume, c’est un poids, c’est une odeur, c’est concret. Le reste, le numérique, tout ça, c’est leur quotidien. L’exception, c’est le matériau. 


Voilà ce que j’aurais appris, entre autre, de cet atelier.

Nos gosses nous réclament des livres. Pas des liseuses.

Et ça me rassure : je ne suis pas passéiste. 
 Allez, goobye kids, et merci, du fond du cœur pour toutes ces heures grandement enrichissantes. Vous avez mené à bien une histoire dans laquelle vous n’avez jamais cherché à suivre la ligne manichéenne habituelle du roman policier. Vous avez tout compris. La vie, ce n’est pas le noir d’un coté, le blanc de l’autre, et entre les deux, un fossé. C’est tout à la fois. Bravo !



Sébastien Gendron


PS: Vous trouverez dans la colonne de droite, dans l'onglet "téléchargement", juste en dessous de l'épisode 6, un 7ème fichier epub à télécharger pour vos tablettes: l'intégral des épisodes en un seul volume, soit... "Un crime à Miami" le roman.

Journal de bord #6 - mercredi 21 mai 2014


DÉJÀ !!!



Oui, ça passe sacrément vite, six semaines d’atelier.  On en est tous conscient quand on se retrouve cet après midi pour écrire notre 5ème épisode. Eiliza, Francisco, Matteo, Nicolas et Joshua sont là. On avait annoncé le retour de Léa mais c’était une rumeur.

Cette séance est particulière – elles le sont toutes à leur manière – pour une bonne et simple raison : c’est la dernière… avant l’épilogue prévu la semaine prochaine.



Je leur explique donc deux choses :

1)    il faut qu’on conclue aujourd’hui la partie actuelle de l’histoire.

2)    Il faut qu’on pense à l’épilogue pour écrire ce dernier chapitre.

Et pour ce faire, il va falloir qu’on prenne une sérieuse décision en ce qui concerne le personnage de Mike, en fuite dans les marécages d’une ile des Bahamas. C’est bien sympa de lui avoir arraché une fesse, ça nous a bien fait rire, mais quid de son devenir ? Je leur laisse donc le choix entre trois possibilités et leurs conséquences sur l’épilogue à venir :

1)    le laisser s’échapper, donc le sauver, et là il y aura une question de « morale » derrière très intéressante pour l’écriture d’un polar : si l’on sauve cet assassin, c’est pour montrer que derrière, il y a pire que lui.

2)    le faire arrêter avant qu’il ne s’échappe : plus classique et donnant lieu à moins de retournements.

3)    le faire tuer : notamment par son collègue lancé à ses trousses, ce qui impliquerait là aussi que derrière, il y a quelque chose d’autre.

Je mets ça au vote et après maintes tergiversations, deux options sont choisies…

Vous voulez connaître les résultats ? Ben, lisez l’épisode 5 alors.



Allez, à la semaine prochaine, les nains !

PS: allez faire un tour sur la page "PRESSE" et vous trouverez le sujet réalisé par le journaliste de la semaine dernière sur notre atelier. Ça vaut le déplacement!


Journal de bord #5 - mercredi 14 mai 2014


CHAUD DEVANT !

Cette semaine, je me suis rendu compte d’une erreur dans mon programme. À l’origine de ce projet, j’avais prévu sept sessions reparties comme tel :
- sessions 1 : prise de contact et écriture de la trame d’un feuilleton en 5 épisodes
- session 2 à 6 : écriture des épisodes 1 à 5
- session 7 : relecture des 5 épisodes, corrections, et mise en ligne.


Tout le monde le sait : il n’est pas de meilleur programme que ceux qu’on ne respecte pas. Du coup, je m’aperçois qu’en ce qui concerne cet atelier, je n’ai nullement suivi mes propres recommandations et que depuis le début, je mets en ligne au fur et à mesure. Résultat des courses, quand je fais le compte, je me retrouve avec une session 7 qui n’a plus aucun intérêt.
Alors quand mes six abonnés du mercredi débarquent aujourd’hui à 13:30, j’ai trouvé la parade : « Les gars (je les ai averti depuis le début, je ne suis nullement sexiste mais quand je les interpelle, c’est toujours en disant « les gars »), on va suivre le programme, on va écrire notre histoire en 5 épisodes et pour la session finale, et ben on écrira… un épilogue ! Quelqu’un peut me dire ce que c’est qu’un épilogue ? » Trois doigt se lèvent sur six et Eiliza me dit : « C’est le truc où on raconte ce que les personnages deviennent quand tout est terminé. » Et ben voilà.
Mais pour l’instant, il faut pondre l’épisode 4. Je rappelle qu’on a un peu molli et que cet opus n’est pas du tout planifié. Donc, il faut commencer par décider des grandes lignes avant de se mettre au travail. Ca va vite. On a laissé Mike, le héros méchant, aux prises avec un requin lui fonçant dessus et la police lancée à ses trousses. Que faire du requin ? Quel type de blessure pour Mike ? Et Eva ? Et la police, est-ce qu’elle va retrouver Mike ?
Je ne vous cache pas qu’on passe beaucoup de temps sur la blessure de Mike avant de trouver la bonne. La consigne c’est « handicapante mais pas invalidante ». Le résultat nous fait bien marrer. Bon lancement pour la suite.


Paul n’est pas là, Joshua est revenu, le reste de l’équipe a fidélisé : Eiliza, Francisco, Matteo, Nicolas et Xavier. A la fin de la séance, une fois qu’on est tombé d’accord sur le point final du chapitre, je leur demande un dernier truc : pour la semaine prochaine, où l’on écrira donc le dernier épisode avant l’épilogue, il va falloir réfléchir à ce que vous voulez faire de Mike. Le sauver ou pas ? Une discussion commence immédiatement, séparant le club en deux camps : les partisans de la condamnation et ceux de la relaxe.
Hop ! Stop ! Réfléchissez-y pendant la semaine et on en reparle mercredi prochain.
Et maintenant, du vent !

Journal de bord #4 - mercredi 7 mai 2014


ET DE 3 !


Ma petite bande d’auteurs de polar en herbe débarque en ordre fractionné. Premier et en avance, Matteo prend place d’autorité à mes cotés. De retour parmi nous, Xavier arrive en second. Dans les cinq minutes qui suivent, le reste du bataillon entre à son tour : Eiliza (dont j’orthographie enfin correctement le prénom après quatre séances), Nicolas, Paul (pas de skate aujourd’hui ?) et un nouveau dans l’équipe : Francisco, 12 ans. Absences notables du jour : Léa et son esprit critique ; Joshua et son speed créatif.

 

Aujourd’hui, pas de temps pour un jeu littéraire d’introduction et à peine pour le panoramique de groupe. D’un, il faut expliquer à Francisco l’étendue du projet Miami ; de deux, Xavier a dentiste à 16 :00, Matteo, pala à 17:00 ; de trois, j’ai un train à Dax à 18:00 ; de quatre, un journaliste envoyé par le Conseil Général doit venir tourner un reportage avec interview de tout le monde, ainsi qu’un photographe ; et enfin cinq – et pas des moindres – on doit tricoter le chapitre 3 des aventures criminelles de Mike Anderson. 

Donc, une fois qu’on a éclairé Francisco sur les règles du jeu et qu’il a intégré le principe du cliffhanger, je passe derrière le clavier et je lance les hostilités.
Le moteur du groupe ne tarde pas à se mettre en route. Et, je le note, avec encore plus de motivation que les fois précédentes. Certainement parce que pour certains d’entre eux, les réflexes sont bien acquis. Toujours aussi calme, Matteo souffle ses propositions au milieu des idées criardes de ses cama rades. Francisco n’est pas en reste. Je les pousse dans leurs retranchements, les forces à finir de décrire une situation avant de passer à la suivante. Exemple probant d’une précipitation très compréhensible : quand deux hommes sont interpellés par un troisième qu’ils n’ont pas vu, ils ne répondent pas en lui tournant le dos mais font volte-face pour savoir qui leur parle. J’endigue un peu leur excitation, c’est vrai, mais je n’oublie pas l’aspect pédagogique de mon atelier : on s’amuse mais dans les règles d’une narration exigeante. Et puis je reste très vigilant sur le champ lexical. Depuis le début, je me rends compte que ces gamins possèdent un vocabulaire bien plus étendu qu’ils ne l’imaginent. A force de lire, de regarder la télé, d’écouter les adultes, ils ont un vrai dico dans la tête mais n’en utilise qu’un trop petit volume. Je les oblige donc à me fournir des expressions, des synonymes, des prépositions qu’ils ont enregistré mais n’utilisent que trop rarement. Souvent, je leur dis qu’il n’y a rien de plus moche dans un texte que les répétitions. Alors, on part en cordée à la recherche du bon mot. Pour détendre l’atmosphère, de temps à autre, je leur autorise une bonne grossièreté au détour d’un dialogue.
Après tout, on est dans le polar et puis dans la vraie vie, personne ne s’exprime comme Mme de Lafayette – et certainement pas des flics.
Entre les pauses régulières, les interventions du journaliste, les trouvailles drolatiques, on arrive à mettre un point final à cet épisode 3 dont le rebondissement final, tout classique soit-il, est une bonne trouvaille.
Quand l’heure sonne, l’effectif est réduit de deux auteurs. Je refais lecture de notre chapitre, je leur demande s’ils sont contents d’eux, ils le sont et ils ont raison. On tient bien le rythme. Alors, comme tous les mercredi, je leur lance ma réplique préférée :
    — Allez, dégagez maintenant, bande de nains !
Ils se marrent et filent. Les ados, c’est quand même vachement bien. 


Sébastien Gendron